Pour une presse plus libre
Les derniers rapports sur la liberté de presse sont inquiétants. Celle-ci a décliné au cours de la dernière décennie et 54 journalistes sont morts dans l’exercice de leurs fonctions rien que pour la seule année 2018. Plusieurs facteurs expliquent le niveau de liberté de la presse d’un pays donné : la nature du régime politique, son niveau de développement ou la présence de conflits armés sur le territoire, par exemple. Un autre facteur important, mais trop souvent négligé, est son degré de liberté économique. En cette Journée mondiale de la liberté de la presse, c’est l’occasion d’évaluer le degré de liberté dans plusieurs pays.
Acheter et vendre des idées
La liberté économique suppose de pouvoir choisir parmi des biens et des services et d’échanger volontairement. Le libre marché, en garantissant la séparation entre les pouvoirs économique et politique, assure notamment la liberté d’expression. En somme, il permet la concurrence entre des acheteurs et des vendeurs d’informations et d’idées diverses.
Plusieurs aspects de la liberté économique tendent à fournir aux journalistes des conditions qui leur permettent de s’exprimer librement. On peut penser par exemple à la liberté d’entreprendre, et donc de faire concurrence aux autres médias. Cela permet d’éviter que l’État ou certains groupes d’intérêts proches du pouvoir ne prennent le contrôle de la presse. L’ouverture au commerce international tend aussi à limiter le contrôle d’un groupe restreint sur l’opinion dans un pays.
La comparaison entre les données provenant de deux classements annuels, soit l’Economic Freedom of the World et le Freedom of the Press, permet de constater qu’une plus grande liberté économique s’accompagne généralement d’une plus grande liberté de presse.
Par exemple, en 2016 (les données les plus récentes), les pays où la liberté économique était la plus importante présentaient en moyenne un score de liberté de presse presque deux fois plus élevé que les pays les moins libres économiquement (68 contre 37, selon l’indice du Freedom of the Press). Autrement dit, plus les pays adoptent des politiques publiques laissant libre cours au marché, plus leur presse est susceptible d’être indépendante du pouvoir.
Le point commun des « champions »
Qui sont les champions en matière de liberté de presse ? Parmi les 20 premiers, on compte essentiellement des pays d’Europe : la Norvège, les Pays-Bas et la Suède forment le podium. Le Canada se trouve quant à lui au 13e rang (parmi les 162 pays pour lesquels des données sont disponibles dans les deux indices). Le point commun de tous ces pays, à une exception près, est de garantir un degré élevé de liberté économique. Si on regarde le portrait plus global, 86 % des pays dont la presse est considérée comme « libre » dans le Freedom of the Press sont dans le premier ou le second quartile en ce qui a trait à la liberté économique, telle que mesurée par l’Economic Freedom of the World.
À l’inverse, sur les 20 pays où la presse est le moins libre, 17 sont soit dans le troisième, soit dans le dernier quartile de la liberté économique. De façon générale, la grande majorité des pays qui présentent un faible niveau de liberté de presse offrent aussi moins de liberté économique.
Bien sûr, la liberté économique ne constitue pas en soi une condition suffisante pour assurer la liberté de presse. Certains pays libres économiquement n’ont pas une presse libre ; on peut penser notamment à Singapour ou au Bahreïn. Dans l’ensemble, il demeure qu’une plus grande liberté économique est généralement associée à une plus grande liberté de presse.
Des pays d’Amérique du Sud comme la Bolivie, le Venezuela ou l’Argentine, qui se sont enlisés dans des politiques économiques interventionnistes, ont mis en péril l’indépendance de leur presse, parfois même sciemment et par des interventions directes. Pendant ce temps, certains pays d’Afrique qui ont libéralisé leurs économies ont vu la liberté de presse y progresser, petit à petit.
Enfin, outre leur effet sur la liberté de presse, des politiques publiques qui favorisent la liberté économique ont aussi un impact positif sur la croissance, le bien-être humain et la condition des femmes.
Une condition nécessaire
La liberté économique demeure une condition nécessaire pour faire prospérer un marché des idées où chacun peut s’exprimer, ce qui est un préalable à l’exercice de nombreux autres droits et libertés.
Les institutions internationales et les organisations non gouvernementales qui déploient d’immenses efforts et ressources à cet effet devraient en prendre note, de même que les pays développés, dont les populations ont grandement profité de la libéralisation des marchés mais où ses bienfaits, largement démontrés, sont parfois mis en doute.
Kevin Brookes and Patrick Déry are respectively Associate Researcher at the MEI and Senior Public Policy Analyst at the MEI. They are the authors of “For a Freer Press, Add Economic Freedom” and the views reflected in this op-ed are their own.