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L’amour n’est pas plus fort que l’impôt

Les entrepreneurs, lorsqu’on leur pose la question, nient habituellement que la fiscalité a influencé leur décision de se lancer en affaires. La passion de créer et d’entreprendre serait, selon eux, le seul facteur dans leur décision. Pourtant, la fiscalité a par définition un effet indéniable sur les revenus de l’entrepreneur. Le cœur a-t-il des raisons que la raison économique ignore? La réponse à cette question est lourde d’implications pour les politiques publiques.

L’un des défis des économistes est de contrer une tendance à vouloir soustraire un tas de phénomènes à l’analyse économique pour les confier à la psychologie ou, pire, à la pensée magique. De la même façon, plusieurs tentent de soustraire l’entrepreneuriat aux questions fiscales.

Selon eux, l’entrepreneuriat serait essentiellement une passion, et les entrepreneurs se lancent en affaires par amour. Le problème avec ces arguments est qu’ils ne sont justement pas des arguments; ce sont plutôt des façons de mettre fin à la discussion avant qu’elle ait eu vraiment lieu. Après tout, «des goûts et des couleurs, on ne discute pas», comme le veut l’adage. Mais, justement, ce n’est pas qu’une question de goûts.

Une autre façon de refuser de débattre de l’influence de la fiscalité sur les entrepreneurs est de prétexter que ceux-ci doivent contribuer pour financer les nombreuses missions de l’État. Or, le problème est précisément que lorsqu’il y a moins d’entrepreneurs, il y a moins de croissance économique et moins de prospérité pour financer ces mêmes missions. Même ceux dont la principale préoccupation est de maximiser les ressources de l’État, coûte que coûte, ont donc un intérêt à ne pas asphyxier l’entrepreneuriat avec des impôts démesurés.

Plus d’impôts, moins d’entrepreneuriat

Bien que tout le monde semble avoir bien compris que les taxes sur certaines catégories de biens en font diminuer la consommation, le romantisme qui perdure face à l’entrepreneuriat empêche beaucoup de gens, dont des décideurs publics, d’appliquer ce raisonnement à la création d’entreprises. Or, les preuves sont accablantes, et un récent cahier de recherche publié par l’IEDM en fait la recension. Que cela soit attribuable à l’imposition directe, qui réduit le gain des entrepreneurs et les incitations à démarrer une entreprise, ou de façon indirecte, par la réduction de l’épargne nécessaire à la formation d’un capital de démarrage, on doit constater qu’il y a moins d’entrepreneuriat lorsque les impôts sont plus élevés.

Par exemple, une étude s’étant intéressée à 85 pays a trouvé qu’une augmentation de 10 points de pourcentage du taux d’imposition sur le revenu des entreprises diminue le nombre d’entreprises par 100 personnes de 1,9. L’impôt réduit aussi les ressources disponibles pour la création d’entreprises: une étude a conclu qu’une augmentation d’un point de la taxe sur le gain en capital diminuait l’offre de financement de 3,8%. Aux États-Unis, la même augmentation a diminué l’offre de capital-risque de 5,4 à 14,6%. Évidemment, lorsqu’il y a moins de financement disponible, il y aura forcément moins d’entreprises.

Si on fait la somme de tous les constats sur les effets du fardeau fiscal sur les entrepreneurs, et de ceux sur les aides financières du gouvernement — qui ne créent pas plus d’entreprises, mais entraînent de nombreux effets pervers —, une conclusion s’impose: il vaut mieux remplacer l’aide gouvernementale aux entrepreneurs (subventions directes, crédits, prêts, etc.) par un allégement des impôts que payent toutes les entreprises. Cela vaut bien sûr lorsque l’entreprise est lancée, mais aussi bien avant, lorsque les entrepreneurs en sont encore à accumuler du capital en vue de ce lancement. En effet, les économies personnelles de l’entrepreneur constituent la source de financement initial la plus importante pour les entreprises canadiennes: moins d’impôt mène à davantage d’épargne, et donc à plus de création d’entreprises!

De plus, l’adoption de telles mesures peut parfois augmenter les revenus pour l’État, ou à tout le moins ne le fait pas forcément diminuer. Cela s’est vérifié au Canada dans l’histoire récente: les revenus de l’impôt fédéral sur le revenu des entreprises sont restés relativement stables entre 2001 et 2012, alors que le taux d’imposition des entreprises a presque été coupé en deux. Manifestement, l’activité entrepreneuriale a augmenté pendant la période!

Il est temps, au Canada et ailleurs, de repenser l’approche qu’ont adoptée les différents gouvernements au fil des ans en matière d’entrepreneuriat. Il est possible d’être bien plus efficace simplement en intervenant moins, et sans que cela ne coûte plus cher. Une telle proposition devrait, à sa face même, être facile à mettre en œuvre.

Mathieu Bédard is Economist at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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