Et le prix du meilleur hôpital va à…
Aimeriez-vous savoir dans quel hôpital vous avez le moins de chance de mourir lors d’un séjour à l’urgence? Lequel s’occupe le mieux des cancers du sein? Lequel vous traite le plus rapidement après un infarctus?
En Suède, c’est possible, parce que ces données sont publiques et facilement accessibles. Un magazine suédois en profite donc pour publier un palmarès des hôpitaux.
Ceux-ci sont classés selon leur taille, ce qui donne des gagnants dans trois catégories. Le gagnant dans celle des meilleurs « petits » hôpitaux est un hôpital de Stockholm, Saint Göran. Le terme « petit », ici, est relatif. On ne parle pas d’un hôpital de brousse. Les urgences de Saint Göran ont vu 86 000 patients franchir ses portes en 2016, autant que les plus gros hôpitaux du Québec. Saint Göran a cependant ceci de particulier qu’il est opéré par une entreprise privée, la multinationale Capio, une société cotée en bourse présente aussi en Norvège, en France et en Allemagne.
Note au lecteur méfiant envers le « méchant privé » : que l’hôpital soit géré par le privé ou par l’État ne fait pas de différence pour le patient sur le plan de l’accès. Je répète : pas de différence. Le système suédois est financé par l’État. Mais à l’intérieur de ce système, contrairement à ici, la concurrence est possible, comme à peu près partout dans le monde d’ailleurs. Certains hôpitaux sont donc gérés par l’État, d’autres par des entreprises privées.
Alors comment Saint Göran s’est-il distingué? Par les coûts, direz-vous, puisque c’est du privé? Absolument. Il revendique les coûts les plus bas par procédure médicale parmi 59 hôpitaux recensés dans sa catégorie. Ce n’est pas une surprise, remarquez, puisque la dernière fois que Capio a soumissionné pour conserver l’exploitation de l’hôpital, elle l’a fait à un tarif de 10 % inférieur au niveau de financement normalement accordé l’État.
Cependant, le critère économique n’est que l’un des facteurs, parmi les moins importants. La qualité des soins est le premier critère, et il vaut plus que tous les autres ensembles. Le second critère le plus important est l’accessibilité. Saint Göran s’est aussi démarqué pour ces deux critères.
Par exemple, pour les soins intensifs, Saint Göran s’est classé 1er sur les réadmissions non prévues et 2e sur la mortalité à l’intérieur de 30 jours. Il a aussi obtenu de très bonnes performances pour des traitements liés à des cancers.
Saint Göran se distingue également sur le plan de l’accessibilité, notamment pour le temps requis pour consulter un spécialiste ou pour entreprendre un traitement. Quant aux urgences, sa performance fait rêver : le temps pour voir un médecin était de 27 minutes l’an dernier. Vingt-sept minutes!
Les trois quarts des patients à l’urgence voient un médecin en moins d’une heure – la meilleure performance de tous les hôpitaux suédois –, et la même proportion quitte l’urgence en moins de quatre heures. Allez dire ça aux 61 000 Québécois qui ont passé plus de 48 heures à l’urgence l’an dernier!
Un système à deux vitesses, genre
On le rappelle : le fait que Saint Göran soit un hôpital privé ne change rien pour ce qui de l’accès aux soins, puisque le système de santé suédois est financé par l’État, comme ici. La seule chose qui change pour les patients, c’est la vitesse. On pourrait donc dire que Saint Göran a une deuxième vitesse : rapide, tandis que d’autres hôpitaux sont plus lents. Mais comme les patients choisissent où ils sont soignés, il n’y a pas de problème. Saint Göran tire les autres vers le haut.
On aurait avantage à appliquer ces leçons au Québec. Premièrement, la transparence, où nous sommes vingt ans en retard. Le ministère de Santé reçoit toutes sortes de données des établissements de santé, mais elles sont difficilement accessibles. Cela complique énormément le travail de ceux qui veulent mesurer la performance du système de santé, ce qui est nécessaire pour qu’il s’améliore.
Le Commissaire à la santé et au bien-être (un organisme qui vient malheureusement d’être aboli) rapportait plus tôt cette année que les données médico-administratives sont beaucoup plus faciles à obtenir dans les autres provinces. Pourtant, l’accès à ces données est une « condition nécessaire » pour l’amélioration des performances de notre système de santé en termes d’accessibilité, qui sont à certains égards assez pitoyables lorsqu’on se compare à d’autres pays développés, ou même simplement au reste du Canada.
La transparence est en elle-même une forte incitation au changement, puisqu’elle oblige les organisations à rendre des comptes, d’une part, et ses dirigeants à se demander pourquoi et comment on fait mieux ailleurs avec des ressources semblables. Il ne s’agit pas ici d’accabler les établissements qui ont plus de difficultés, seulement d’encourager la diffusion des meilleures pratiques afin d’aider tout le monde à faire mieux.
Si on combine en plus cette transparence au financement à l’activité, que le gouvernement semble vouloir mettre en place, et qu’on laisse le patient choisir où il veut être soigné, les bons hôpitaux auront avantage à prendre plus de patients!
Qu’on se le dise : appliquer des solutions de marché à un système de santé public, ça n’a rien à voir avec sortir la carte de crédit pour se faire soigner, mais tout à voir à créer de bonnes incitations.
Patrick Déry is a Public Policy Analyst at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.