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Et si le ministre de la Santé était gentil?

On a fait grand cas de la personnalité du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, au cours des derniers jours. La Presse a publié des articles dans lesquels on détaille nombre d’accrochages avec des anciens collègues ainsi qu’un climat de travail rude et démotivant pour ceux qui nous soignent.

Pour le dire poliment, l’actuel ministre de la Santé ne semble pas être le patron le plus commode. Pourtant, il existe une problématique bien plus importante pour les patients québécois que la personnalité abrasive du ministre, et qui a moins retenu l’attention.

Le chroniqueur Patrick Lagacé a fait mention d’un des symptômes de ce problème plus grave en racontant comment le ministre est « parti avec la timbreuse », obligeant un hôpital de la région de l’Outaouais à envoyer son courrier à Gatineau, à une heure de route, afin de pouvoir le poster. De prime abord, l’anecdote est loufoque, mais elle découle de règles tatillonnes qui entraînent pour les patients des conséquences réelles et dramatiques. Entre autres, des services qui étaient autrefois disponibles à l’hôpital de Pontiac ne sont dorénavant donnés qu’à Gatineau.

Ces bêtises bureaucratiques risquent de se répéter alors que notre système de santé fait l’objet d’une énième tentative de redressement. Comme d’habitude, les « réformes » partent du centre et les extrémités doivent s’y conformer sans rouspéter. Le ministre Barrette a ainsi entrepris de centraliser encore plus notre système de santé, augmentant son pouvoir décisionnel sur les instances régionales et les hôpitaux, et se donnant les moyens de punir les médecins ou les gestionnaires récalcitrants.

Je vais vous dire un secret : ça ne marchera pas.

Pensez-y un instant : le système de santé au Québec, c’est entre autres 119 hôpitaux, 292 CLSC, 113 000 infirmières et préposés, environ 58 000 techniciens et professionnels, 77 000 personnes au soutien et à l’encadrement, plus de 20 000 médecins, 975 employés au ministère, 1700 autres à la RAMQ, sans compter les patients. Seulement dans les urgences, il y a eu plus de 3,7 millions de visites l’an dernier!

Le ministre peut bien revendiquer certains succès à court terme obtenus avec la menace du bâton, notamment la diminution des séjours de très longue durée, mais il ne réussira pas à régler tous les problèmes de son bureau : notre système de santé est tout simplement beaucoup trop gros et complexepour être géré efficacement par une seule personne, aussi talentueuse et déterminée soit-elle.

La quantité d’information nécessaire pour prendre de bonnes décisions au moyen d’une planification centralisée est immense. De plus, une grande partie de cette information n’est pas accessible aux décideurs, parce qu’elle n’est connue que par les millions d’acteurs individuels de notre système de santé : les gestionnaires, les préposés, les infirmières, les médecins, etc., et bien sûr les patients. Puisqu’il n’est pas encore possible d’extraire de la tête de tous ces gens tout ce qu’ils savent, il n’est pas plus possible pour un ministre ou une poignée de bureaucrates de tout décider de façon efficiente, comme nous l’enseigne la théorie économique.

Les défaillances de cette planification centralisée, rigide et déconnectée nous sautent aux yeux de façon fréquente. La gestion des vacances d’été et du congé des fêtes, des événements assez prévisibles, amène son lot de fermetures et de pénuries. Et si la grippe arrive en avance, sans prévenir les fonctionnaires, tout fout le camp!

Heureusement, d’autres modèles existent. À l’opposé du Québec, la Suède, un pays qui nous ressemble, propose un modèle de gestion fortement décentralisé. La santé est la responsabilité d’autorités régionales et les hôpitaux sont gérés de façon autonome. Le ministère détermine les grandes orientations et laisse à d’autres les dégustations de patates en poudre. De plus, le secteur concurrentiel occupe une place importante, et cette présence du privé dans la prestation de soins ne compromet aucunement l’accès aux soins, qui demeure universel. Enfin, devinez quoi, non seulement les patients ne meurent pas, mais ils sont bien soignés, et plus rapidement qu’ici!

En somme, si les urgences débordent depuis une quarantaine d’années, ce n’est certainement pas en raison des sautes d’humeur du ministre.

Un ministre gentil ne rendra pas les employés plus heureux et les patients mieux soignés dans un système ultracentralisé (ça serait arrivé il y a longtemps si c’était suffisant). À l’inverse, un ministre impoli ou contrôlant à l’excès n’aura plus d’emprise dans un système décentralisé, dans lequel les décisions se prennent à l’échelle des employés et des patients.

Je laisse à d’autres le soin de débattre de la personnalité du ministre. Ce dont notre système de santé a besoin d’une façon urgente, c’est d’une bonne dose de décentralisation, d’innovation, de concurrence et de transparence.

Patrick Déry is a Public Policy Analyst at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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