Aucun « tripotage », seulement une approche prudente
Dans une récente réplique à notre étude « Mettre fin à la gestion de l’offre en rachetant les quotas », François Dumontier, le porte-parole des Producteurs de lait du Québec, nous a accusés de « tripoter » les données afin de démontrer que la gestion de l’offre impose un coût aux consommateurs. La directrice à la recherche économique de la même association, elle, nous a accusé de manquer de rigueur. Des précisions s’imposent.
Premièrement, les chiffres invoqués en réponse à notre étude proviennent d’une base de données privée dont la méthodologie, les détails et les données brutes ne sont pas disponibles. Lorsque l’on choisit de se servir d’une base de données privée au lieu des bases de données publiques, comme celles de Statistique Canada, on se doit de fournir une explication et de faire preuve de transparence, d’autant plus que des millions de consommateurs sont affectés par les conclusions que l’on tire de ces données.
Deuxièmement, notre étude sous-estime l’écart de prix entre le Canada et les États-Unis. En effet, les données de Statistique Canada incluent les prix en régions urbaines et rurales, tandis que celles pour les États-Unis n’utilisent que les données pour les villes, où les prix sont généralement plus élevés. L’inclusion des prix ruraux américains accroîtrait donc l’écart de prix entre le Canada et les États-Unis. Ensuite, sept États américains appliquent les taxes de vente sur les biens alimentaires comme le lait, ce qui n’est pas le cas au Canada. Puisque les données publiques incluent les taxes de vente, on surestime donc le prix américain dans ces États. En comparant les prix avant taxes, l’écart serait encore plus grand que celui présentement observé.
Troisièmement, les Américains consomment davantage de lait plus dispendieux que les Canadiens. Le lait 3,25 % (qui tend à être plus cher que le lait contenant 1 % ou 2 % de matières grasses) représente 29 % de la consommation de lait aux États-Unis, contre 14 % au Canada. Si les Américains consommaient les différents types de lait dans les mêmes proportions que les Canadiens, les prix seraient observés aux États-Unis seraient encore plus bas.
Quatrièmement, nous n’avons pas présumé que l’écart de prix entre les deux pays serait nul après la libéralisation. Notre hypothèse est que l’écart de prix généralement observé pour les autres produits agricoles (porc et bœuf, par exemple) serait le même que pour le lait. Ceci signifie qu’il resterait quand même un écart de 12 % entre le Canada et les États-Unis. Notre estimation est non seulement très prudente, mais tous les faits semblent indiquer qu’elle est trop prudente.
Finalement, le portrait que présente l’évolution des prix est sans équivoque. Toutes les mesures du prix du lait au détail au Canada suggèrent une augmentation depuis 1995, de 11 % à 26 % en tenant compte de l’inflation. Aux États-Unis, il a baissé de 20% pendant la même période. Ces données publiques sont indéniables, et impossibles à « tripoter ».
Vincent Geloso and Alexandre Moreau are respectively Associate Researcher and Public Policy Analyst at the MEI. They are the authors of "Ending Supply Management with a Quota Buyback" and the views reflected in this op-ed are their own.