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Op-eds

Cachez ce VUS que je ne saurais voir

Dans un texte d'opinion publié par La Presse + le 3 octobre, le professeur de HEC Montréal Pierre-Oliver Pineau décrivait une réalité qui peut déplaire à certains: un nombre croissant de Québécois choisissent, de leur plein gré, de s'acheter des VUS au lieu de voitures plus petites ou de voitures électriques.

Pour ma part, ce n'est pas son constat qui m'effraie, mais plutôt la solution que M. Pineau préconise pour corriger ce qu'il perçoit comme un problème de société: « comme pour le tabac, il va falloir taxer, réglementer et limiter la publicité pour les gros véhicules », écrit-il. Le professeur Pineau n'est pas un quidam ni un hurluberlu. C'est un économiste respecté et influent, qui occupe une place de choix dans les médias. Et ce réflexe de vouloir limiter la publicité de tout ce qui peut paraître nocif dans nos vies est partagé par de plus en plus de commentateurs et de décideurs.

Le Sénat étudie présentement un projet de loi qui, s'il est adopté, ferait disparaître du paysage Tony le tigre et le Capitaine Crunch. Cette loi vise à encadrer le marketing des boissons et des aliments destinés aux enfants. Les emballages de produits devront être standardisés et exclure les images de princesses ou de farfadets, entre autres. Également, aucune mascotte ne pourrait être commercialisée. Le but: « protéger » les enfants visés par le marketing de l'industrie des boissons et des aliments.

Cette initiative s'inspire d'une autre loi semblable : l'emballage neutre sur les paquets de cigarettes. Les gouvernements provinciaux ont interdit de fumer dans pratiquement tous les lieux de travail et dans les endroits ouverts au public. L'emballage est aussi strictement contrôlé, incluant des avertissements de santé couvrant 75 % des paquets. Néanmoins, Ottawa songe à imposer l'emballage neutre, afin de rendre les paquets d'une couleur quelconque, de taille et forme identiques, sans couleur de marque distinctive, de logo ou d'autres éléments de conception.

L'industrie de l'alcool est également frappée de certaines contraintes sur le plan de la publicité. Et si les élus poursuivent sur cette « pente glissante » de la réglementation, rien n'empêcherait qu'on impose l'emballage neutre sur les barres de chocolat ou les sacs de chips. Qu'on interdise à tel ou tel restaurant de faire de la publicité, sous prétexte que des fonctionnaires bien intentionnés jugent leurs menus inappropriés.

Cela fonctionnerait-il? Rien de moins sûr. La consommation de produits jugés néfastes pour la santé ne peut généralement pas être réduite en limitant ou en interdisant leur publicité. C'était là l'une des principales conclusions d'une étude que l'IEDM publiait déjà en 2011, alors que des campagnes avaient lieu pour inciter des mascottes comme Ronald McDonald à prendre leur retraite.

L'expérience ainsi que de nombreuses études scientifiques ont montré que dans le cas de produits déjà bien établis, comme la restauration rapide ou la bière, la publicité sert principalement à attirer la clientèle des concurrents, et non à créer de nouveaux adeptes. Par exemple, l'interdiction des publicités de bière au Manitoba dans les années 1970 n'en a pas diminué la consommation. Celle-ci a au contraire augmenté de 4,5 %, soit environ la même augmentation qu'en Alberta, où la publicité est pourtant restée légale. De la même manière, l'interdiction de l'affichage des produits du tabac au Canada, en Islande, en Irlande et en Thaïlande, n'a pas non plus modifié les habitudes de consommation.

À l'IEDM, nous observions déjà il y a plusieurs années cette tendance des gouvernements à limiter ou à interdire la publicité d'un produit jugé néfaste, plutôt que d'en interdire l'usage directement. Et nous tenions à intervenir dès le début de cette tendance, surtout quand celle-ci s'avère inefficace et brime inutilement la créativité et le dynamisme du monde publicitaire.

Miner les droits de propriété privée engendre d'importants coûts sociaux en termes d'efficacité et de croissance économique. L'emballage neutre et les interdits de publicité sont des attaques directes envers les marques de commerce et la propriété intellectuelle.

Cette tendance lourde de nos élus à vouloir exclure de l'espace public tout produit jugé nocif, que ce soit la cigarette ou les VUS, a pour corollaire l'érosion de nos libertés autant comme entrepreneurs que comme consommateurs. Et surtout, de notre responsabilité individuelle au profit d'un excès de zèle de nos élites bien-pensantes.

Jasmin Guénette is Vice President of the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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