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Les effets pervers des taxes puritaines

Alors que le gouvernement libéral de Philippe Couillard s’apprête à déposer son premier budget dans un contexte de crise des finances publiques, la tentation sera grande d’augmenter les taxes prélevées sur un certain nombre de produits jugés nuisibles pour les Québécois comme l’alcool, le tabac, voire même certains aliments riches en sucre ou en gras.

Carlos Leitao, le ministre des Finances, soulignera probablement la nécessité de réduire les dépenses du gouvernement sur le plus ou moins long terme. Mais, devant la levée de boucliers de certains groupes d’intérêts, il sera probablement tenté d’augmenter les revenus.

Dans la mesure où les augmentations d’impôts ou de taxes sur la consommation sont généralement impopulaires et que personne ne peut être contre la vertu, les taxes puritaines seront bien plus faciles à justifier auprès de la population.

Pourtant, comme nous l’a montré l’expérience de la taxe sur le tabac, loin d’être la solution miracle aux problèmes budgétaires et de santé que l’on nous fait miroiter, les taxes puritaines atteignent rarement leurs objectifs et ont souvent des conséquences non désirées.

On observe dans les faits une dépendance des gouvernements envers ces sources de revenus une fois qu’elles ont été mises en place. L’objectif initial de réduction de la consommation des produits jugés nuisibles passe alors au second plan pour maintenir le flux de revenus.

Ainsi la mise en place d’un monopole étatique de la vente d’alcool avait à l’origine, dans les années 1920, pour objectif de contrôler la consommation d’alcool. Or, ce contrôle génère des revenus considérables. Les bénéfices de la Société des alcools du Québec (SAQ) remis en dividendes à l’État québécois s’élevaient à 1030 millions de dollars en 2012-2013. En outre, la SAQ verse à Ottawa et à Québec les droits d’accise et de douane, les taxes de vente et les taxes spécifiques reliés à l’alcool, soit un montant de 915 millions de dollars pour la même année.

Un tel système pénalise le consommateur dans la mesure où, comme l’a récemment montré Pierre Couture dans le Journal de Montréal, la privatisation de la vente d’alcool en Alberta a accru la concurrence au bénéfice des consommateurs puisque les bouteilles de vin sont moins chères qu’au Québec.

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac soutient qu’une hausse de la taxe provinciale sur le tabac découragera la consommation. De nombreuses études ont pourtant démontré qu’après une réduction initiale, le niveau de consommation de produits comme le tabac atteint généralement un seuil à partir duquel les utilisateurs restants ont tendance à ne plus modifier leur comportement.

C’est précisément ce qui s’est passé au Québec, où la prévalence du tabagisme a atteint un seuil qui se situe autour de 24 % depuis 2003, ceci malgré le fait que le prix des cigarettes ait doublé durant la même période. L’objectif de dissuader la consommation de tabac par une augmentation des prix n’est donc plus atteint depuis une décennie.

La taxe sur le tabac devient dès lors une taxe « punitive » pour la partie de la population qui ne désire pas changer ses habitudes de consommation et qui doit donc débourser des sommes de plus en plus importantes pour fumer.

D’autre part, essentiellement parce que le taux de tabagisme est 50 % plus élevé chez les plus pauvres que chez les plus riches, la taxe sur le tabac est également une taxe particulièrement régressive qui frappe les pauvres quatre fois plus que les riches. Une augmentation supplémentaire des taxes sur le tabac qui comptent déjà pour 63 % du prix moyen d’un paquet de cigarettes au Québec toucherait donc particulièrement les populations à faible revenu.

Un autre effet pervers des taxes puritaines réside dans le fait que, selon le principe « trop d’impôt tue l’impôt », lorsque le niveau de taxation d’un produit est trop élevé les consommateurs se tournent vers d’autres sources d’approvisionnement licites ou illicites, ce qui a pour conséquence de faire diminuer les recettes fiscales de l’État.

C’est précisément ce qui s’est passé au Canada au début des années 1990. En effet, à la suite d’une forte augmentation des droits et des taxes applicables aux produits du tabac par le gouvernement fédéral et les provinces, un vaste commerce illégal de cigarettes s’est développé. La part de la contrebande est ainsi passée de 1 % du marché canadien du tabac en 1987 à environ 31 % à la fin de l’année 1993. Les taxes furent réduites de manière substantielleen février 1994 par le gouvernement fédéral et cinq provinces de l’est du Canada, dont le Québec, pour mettre un terme à la contrebande et rétablir les ventes légales et les recettes de la taxe sur le tabac.

Ces mesures ont globalement atteint leur objectif. Le gouvernement fédéral et les provinces ne semblent toutefois pas avoir appris la leçon du début des années 1990 puisque les taxes ont de nouveau été haussées à partir de 2001. Comme on pouvait s’y attendre, cela a amené un retour du marché noir qui constituait une part estimée à 27 % de l’ensemble du marché du tabac en 2008. Une nouvelle augmentation des taxes pose donc le risque d’une recrudescence des ventes des cigarettes illégales qui sont d’une qualité non règlementée et plus facilement accessibles pour les mineurs.

Le gouvernement du Parti Québécois avait déjà augmenté la taxe sur le tabac dans le but d’accroître ses recettes de 43 millions de dollars en 2012-2013. Or celles-ci ont plutôt diminué, passant de 913 à 907 millions de dollars. Cette tendance est conforme à l’évolution historique des recettes de la taxe sur le tabac du gouvernement du Québec qui montre clairement que lorsque la taxation devient excessive, elle entraîne une baisse des recettes fiscales.

On peut observer que les mêmes causes ont mené aux mêmes effets au Danemark qui a introduit en octobre 2011 la première taxe sur les matières grasses au monde sur les produits alimentaires contenant plus de 2,3 % de gras saturés. Loin de diminuer leur consommation de beurre, de lait ou de fromage, les Danois se sont tournés vers des marques moins chères ou sont allés faire leur épicerie à l’étranger, notamment en Allemagne, où les prix étaient environ 20 % moins chers. Les effets négatifs sur le commerce de détail danois et le mécontentement de la population menèrent à l’abolition de cette taxe puritaine en novembre 2012 et à l’abandon par le gouvernement de son projet d’instaurer une taxe sur le sucre.

Il y a évidemment de bonnes raisons d’arrêter de fumer ou de boire ou de manger avec modération. Mais nous avons peut-être atteint la limite de ce que peuvent accomplir certaines taxes puritaines comme celle sur le tabac. Voilà autant de raisons qui devraient inciter le ministre québécois des Finances à résister à la tentation de taxer encore plus le « vice » dans son prochain budget et de tenir l’engagement du gouvernement de réduire les dépenses de l’État afin que l’élastique de la fiscalité ne lâche pas.

Jean-François Minardi is a Public Policy Analyst at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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