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Une introduction aux étiquettes politiques

Mes collègues Michel Kelly-Gagnon, Jean-François Minardi et moi-même sommes heureux de contribuer à ce nouveau blogue du Journal de Montréal. Nous nourrirons la discussion et recevront vos commentaires avec intérêt. Nous espérons que ce nouvel outil enrichira votre réflexion sur les politiques publiques d’ici et d’ailleurs et réciproquement. N’hésitez pas à partager avec nous vos commentaires, vos idées ou vos expériences.

Débuter cette nouvelle aventure est aussi l’occasion pour moi d’un exercice plus personnel que j’aimerais partager avec vous. L’invitation à animer un blogue m’a été lancée après un débat au canal Argent avec Simon Tremblay-Pepin, de l’IRIS, à qui on a aussi fait la même proposition. Les débats entre l’IRIS et l’IEDM sont fréquents et on ne partage pas souvent les mêmes points de vue. Quoique ça arrive à l’occasion! Dans le cadre d’un débat public sain et équilibré, les médias sont habitués à l’affrontement des points de vue et l’encouragent. Par contre, on y entend souvent des raccourcis qui se justifient par le manque de temps, mais qui passent à côté de nuances importantes.

Par exemple, on m’attribue souvent une étiquette politique, typiquement de droite, pour me présenter. On catégorise de même mes vis-à-vis de l’IRIS à gauche. J’ai toujours un inconfort avec l’étiquetage politique. D’abord parce que je souhaite défendre mes idées, mes opinions, les résultats de mes recherches. Pas une mouvance au complet. Ensuite parce que je ne sais pas, en toute humilité, ce que veulent dire les étiquettes de « droite » et de « gauche ».

Mon ignorance de la droite et de la gauche

Mon intérêt pour la politique ne date pas d’hier. À l’université, j’ai eu plusieurs cours de science politique. J’ai aussi lu par intérêt personnel bien des livres sur les politiques publiques et la philosophie politique. Et pourtant, je me sens toujours ignorant de ce que signifient ces deux directions opposées.

Il m’arrive de croire que ce ne sont que des artifices plus ou moins utiles. Au Québec, l’opposition entre souverainisme et fédéralisme a longtemps eu prédominance sur d’autres clivages politiques. Avec le débat sur la Charte des valeurs québécoises, ce sont d’autres lignes de faille qui divisent les différents camps. Bref, je ne suis vraiment pas convaincu que de se dire de droite, ou de gauche, compte vraiment.

D’autant plus que certaines personnes portent les deux étiquettes simultanément! Combien de commentateurs ont qualifié François Legault et la Coalition Avenir Québec de droite, alors que lui-même a déjà indiqué être de « gauche efficace »? Jean-François Lisée, qui a publié un livre sur cette gauche efficace, y reprend plusieurs idées dites « de droite » sur la tarification des services publics par exemple. L’un se dit de gauche, mais on le qualifie de droite. L’autre promeut certaines idées de droite, mais se positionne astucieusement à gauche (et prétend même faire la lutte à la droite).

Le Parti québécois, vu comme un parti de gauche, est pourtant celui qui a atteint le premier le déficit zéro, une politique « néolibérale » selon  plusieurs groupes sociaux! Quand on regarde les partis politiques du Québec, mais aussi au niveau fédéral canadien et aux États-Unis, ce ne sont pas toujours ceux qu’on croit qui dépensent le plus  de fonds publics!

Pour ajouter à la difficulté de comprendre ce que révèlent (ou ce que cachent) ces étiquettes politiques, on ajoute parfois un qualificatif, plus ou moins au hasard. Il est alors question de « droite sociale », de « gauche militante », de « gauche caviar » ou de « droite économique »!

À un moment donné, j’ai cru comprendre. Sur l’axe social, la gauche défend la liberté des individus de faire leurs propres choix, sans se voir imposer un comportement donné ou être jugé sur le plan moral par la société (et le gouvernement). Chacun dispose de son corps, et ce n’est certainement pas aux autres de nous dicter nos choix. La liberté d’avorter, le mariage gay, le suicide assisté, la possibilité d’avoir des goûts et de faire des choix les plus divers, même celui de la marginalité si on le désire… « Tiens!, me suis-je dit, voilà qui me rejoint ». J’avais enfin compris. Et j’étais de gauche! Ce qui est assez agréable, somme toute, puisque presque tous ceux que j’ai rencontrés dans ma vie se disent de gauche.

Malheureusement, j’ai dû déchanter. C’est que, voyez-vous, on m’a ensuite dit que c’était l’inverse sur l’axe économique. Là, c’est la droite qui défend la liberté des individus de faire leurs propres choix, sans se voir imposer un comportement donné ou être jugé sur le plan moral par la société (et le gouvernement). Chacun dispose de ce qu’il possède, et ce n’est certainement pas aux autres de nous dicter nos choix. La liberté d’échanger avec qui l’on veut, quel que soit son pays d’origine, choisir d’épargner ou de dépenser, disposer des possibilités les plus diverses dans ses choix de carrière, pouvoir consommer selon nos propres valeurs, se partir en affaires (ou financer des projets d’affaires), utiliser ses ressources pour améliorer le monde qui nous entoure… Ça aussi, ça me rejoignait! Misère! Qu’étais-je?

Ce que je crois

L’intérêt d’une étiquette politique, c’est d’indiquer des valeurs ou des principes fondamentaux qui nous guident dans nos choix politiques. Comme les choix politiques sont nombreux, ce n’est pas toujours pratique de défiler nos opinions sur toutes les questions du moment. Quand je dis que je ne sais pas ce qu’est la gauche et ce qu’est la droite, je veux dire par là que je ne saisis pas les valeurs ou les principes fondamentaux qui animent ces deux points de vue. Or, selon qu’on parle d’économie ou de questions sociales, la droite et la gauche apparaissent toutes deux schizophrènes. Celle qui défend la liberté de choix sur un axe renverse complètement sa position sur l’autre axe. Le manque de cohérence est flagrant, ce qui réduit à néant l’utilité de ces deux étiquettes!

Ce en quoi je crois, c’est que chaque être humain poursuit dans sa vie des objectifs qui lui sont propres, qu’il le fait selon ses principes moraux et que de vivre ensemble suppose un espace le plus large possible pour permettre à chacun de s’épanouir en société. L’individu ne doit pas servir sa société, c’est la société qui doit être cet espace de cohabitation et de coopération au service de l’être humain.

Pour se mettre au service de ses citoyens, ceux qui sont en position de pouvoir doivent faire preuve d’une grande humilité qui commence avec le constat tout simple de l’étendue de leur ignorance quant aux choix, motivations et aspirations de ceux qui les élisent. Sur ce plan, je partage la réflexion de penseurs du siècle dernier ayant démontré l’impossibilité d’une gestion économique centralisée.

Lorsque le gouvernement ou des comités d’experts déclarent que les gens font les mauvais choix lorsqu’ils sont laissés à eux-mêmes, qu’il est nécessaire de les guider ou de les contraindre pour leur propre bien, on entre à mon avis en territoire dangereux. Selon les « experts », les Québécois utilisent trop l’auto, n’épargnent pas assez pour leur retraite, s’endettent trop, ne vivent pas au bon endroit, mangent mal et sont obèses, achètent trop de produits étrangers, etc. Les constats du genre affluent sans que jamais personne ne se demande s’il n’y a pas, quelque part, une raison qu’on ignore et qui expliquerait ces comportements que les experts jugent répréhensibles. Est-ce que, parfois, les individus manquent d’information? Certainement. Qu’on fasse circuler l’information, mais qu’on ne prétende pas se servir des pouvoirs de l’État pour « notre bien » sans connaître les raisons qui poussent chacun d’entre nous à faire ses propres choix.

Qu’on me comprenne bien. Je suis persuadé de la bonne foi de tous ces dirigeants et spécialistes. Je ne tombe pas ici dans les procès d’intention, que j’abhorre par ailleurs. Seulement, je suis convaincu qu’il faut juger les politiques publiques par leurs résultats avérés plutôt que par leurs intentions déclarées.

C’est aussi ce qui me porte à croire que le capitalisme n’est pas l’hideuse créature qu’on nous dépeint trop souvent. D’un point de vue théorique, il est probablement juste de dire que les entreprises cherchent à maximiser leurs profits. À peu près tous les modèles économiques sont basés sur cette hypothèse. Mais il ne s’agit là que de leur intention. Le résultat concret d’une compétition entre entreprises maximisant leurs profits se traduit par des commerces et des industries qui n’ont généralement d’autres choix, s’ils restent dans la légalité, que de satisfaire leurs clients au mieux et qui sont toujours à l’affût d’une nouvelle manière d’y parvenir. Le capitalisme devient alors un immense réseau de collaboration entre différents individus qui entrent en relation pour le bénéfice de tous et qui permet un progrès constant des techniques, des connaissances et des conditions matérielles de l’humanité.

Les étiquettes de droite ou de gauche, en plus d’être incohérentes dans leurs définitions populaires, sont étriquées et ne rendent pas compte de mes valeurs. Si l’on me demandait comment je me définis, en regard de ce que je viens d’expliquer, je pense que les étiquettes les plus appropriées seraient : comme un humaniste et un progressiste. Ce n’est pas parfait comme définition, et ces étiquettes galvaudées ont souvent été détournées de leur sens premier. J’espère néanmoins contribuer, à mon humble échelle, à les rétablir dans leur sens premier.

Youri Chassin is an Economist at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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