Krach tombe à plat
Le documentaire Krach, produit par la Société Radio-Canada, prétend expliquer les causes de la crise économique mondiale. Selon le synopsis, Krach est « l’histoire de banquiers qui ont mené le monde à la ruine, de leaders qui ont lutté pour le sauver et de gens ordinaires qui ont tout perdu ». Le ton est donc donné.
J’ai visionné attentivement les trois premiers épisodes. Le documentaire serait excellent… si on pouvait faire fi des demi-vérités, des erreurs, des omissions, des a priori non fondés et, surtout de l’absence d’analyse économique sérieuse.
Le documentaire explique que la crise a pris naissance dans le secteur de l’immobilier, car dans un contexte de taux d’intérêt bas et de réglementation minimale, les banquiers, aveuglés par le profit, accordaient des prêts hypothécaires sans se soucier de la solvabilité de l’emprunteur. Bien que fort populaire, cette explication est toutefois bancale : si les banquiers sont cupides, n’auraient-ils pas dû plutôt refuser de prêter des fonds à des clients insolvables et ainsi éviter de perdre leur argent? C’est pourtant ce qu’ils avaient toujours fait, et c’est logique. Alors, pourquoi ont-ils adopté un comportement exactement à l’inverse de cette habitude?
Krach ne peut prétendre identifier les véritables architectes de la crise sans répondre à cette question.
Le documentaire se devait donc de préciser que les banques étaient soumises au Community Reinvestment Act, une loi américaine leur interdisant de décliner les clients à risque. Il se devait également de souligner que les taux d’intérêt ridiculement bas étaient l’oeuvre de la Réserve fédérale qui avait délibérément inondé le marché de liquidités dans le but d’inciter à la consommation. Mais surtout, il se devait de souligner le fait que si les banques prêtaient sans discernement, c’était essentiellement parce que l’État garantissait les prêts insolvables par l’entremise de Fannie Mae et Freddie Mac, deux sociétés créées par le gouvernement américain et qui avaient pour mission de permettre l’accès au crédit aux clients à risque.
Le documentaire accuse également la déréglementation du secteur financier. Par contre, à aucun moment n’est-il précisé de quelle déréglementation il s’agit. Et pour cause! Aucune déréglementation majeure n’a eu lieu. Certes, il y a eu la suppression graduelle du Glass-Steagall Act, une loi de 1933 imposant la séparation entre les banques de dépôt et les banques d’investissement.
Or, comment cette déréglementation aurait-elle bien pu causer la crise puisqu’elle ne faisait que concéder aux banques américaines les mêmes droits que ceux dont jouissent leurs rivales européennes ou canadiennes?
En revanche, il y a eu le Sarbanes-Oxley Act, une loi américaine adoptée en 2002 et imposant de nouvelles règles relatives à la comptabilité et à la transparence financière.
Et que dire des budgets alloués aux agences de réglementation – budgets qui augmentent depuis plus de 20 ans – et des 12 000 fonctionnaires payés pour faire respecter des centaines de milliers de pages de réglementation dont les marchés financiers font l’objet?
À plusieurs occasions, Krach déforme la réalité. Par exemple, lorsqu’il rend la crise responsable de la faillite de GM alors que les déboires financiers du constructeur sont légion depuis plus de 20 ans. Ou alors, lorsqu’il dénonce la construction du plus haut édifice du monde à Dubaï, alors que ce projet ne présente aucun lien avec les subprimes.
Selon la sagesse populaire, il ne faut pas croire tout ce qu’on voit à la télé. C’est particulièrement vrai pour Krach. Le documentaire est visuellement agréable. La réalisation est impeccable et le scénario, habilement conçu. Dommage qu’il désinforme en escamotant l’essentiel et en privant le téléspectateur d’une analyse économique honnête et rigoureuse!
Nathalie Elgrably-Lévy is Senior Economist at the Monreal Economic Institute.
* This column was also published in Le Journal de Québec.