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Étouffer la relève

Voilà, déjà, plusieurs années que l’absence de relève dans le secteur agricole fait les manchettes. Le rapport publié, récemment, par le ministère de l’Agriculture du Québec n’a donc surpris personne, en révélant que 39 % des fermiers qui vendront leur exploitation, d’ici cinq ans, ignorent qui leur succédera. Certains d’entre eux fermeront définitivement leurs portes et vendront leurs actifs à l’encan, si bien que le Québec perd, chaque année, entre 300 et 400 fermes.

On pourrait penser que ce désintéressement est dans l’air du temps, que les jeunes préfèrent les nouvelles technologies et le confort d’un bureau aux travaux de la ferme. C’est du moins ce qu’aiment croire la classe politique et les multiples fédérations de producteurs qui défendent le système de gestion de l’offre et le monopole de la vente des produits agricoles que leur concèdent les plans conjoints. Pourtant, cette explication passe à côté de l’essentiel!

Si la relève se fait rare, c’est parce que les coûts de démarrage d’une ferme sont tout simplement prohibitifs. Pour exploiter une ferme laitière de taille moyenne (55 vaches), il faut un investissement initial supérieur à 2 M$. Serait-ce la terre qui coûte si cher? Les installations? L’équipement? Le bétail? Pas du tout! Tous ces actifs peuvent être acquis pour 600 000 $, environ.

Ce qui coûte horriblement cher, ce sont les quotas de production. Un quota laitier pour une vache coûte 25 000 $, soit 25 fois la valeur d’une vache. L’aspirant producteur doit donc débourser 1,4 M$, simplement pour obtenir le permis de production. Quand 70 % d’un investissement n’achètent absolument rien de productif, mais seulement une autorisation de fonctionner, faut-il être étonné que la relève soit difficile à trouver?

Le plus ironique, c’est que les quotas laitiers, qui datent des années 1970, visaient, initialement, à assurer la pérennité du secteur agricole en « aidant » les producteurs. L’astuce est simple: on oblige les fermes à limiter leur production de lait, afin d’en faire augmenter le prix jusqu’au seuil souhaité par les autorités. Certes, la perspective de pouvoir vendre plus cher a de quoi séduire les producteurs. Toutefois, cet attrait est largement annulé par le fait que la relève doit maintenant acheter des quotas et assumer des coûts de production artificiellement gonflés.

Pour stopper l’hémorragie, le ministère de l’Agriculture s’est engagé à créer un Fonds d’investissement pour la relève agricole. Pour notre intelligentsia politique, ce fonds est un « outil novateur et unique »; mais ce n’est là que de la rhétorique. À l’échelle nationale, l’industrie agricole et agroalimentaire a reçu 7,9 G$, uniquement pour l’exercice 2008-2009. C’est l’équivalent de 31 % du PIB de ce secteur. Distribuer des fonds publics est loin d’être un concept original, surtout en agriculture…

Cependant, ce qui déconcerte le plus, c’est la logique kafkaïenne dont nos élus sont manifestement prisonniers. Des politiciens, qui n’avaient probablement jamais vu une vache, sinon en photo, ont instauré des quotas qui étouffent la relève. Maintenant, ils jouent les héros, en créant des programmes censés lui redonner vie. En revanche, ne comptons pas sur eux pour faire un auto-examen, pour admettre que ce sont les tentacules destructeurs de l’État qui ont créé une situation intenable, et pour, enfin, faire marche arrière.

Lors d’un discours prononcé en 1986, Ronald Reagan a déclaré que: « les gouvernements ont une vision très sommaire de l’économie. Si ça bouge, ajoute des taxes. Si ça bouge toujours, impose des lois. Si ça s’arrête de bouger, donne des subventions. » Existe-t-il meilleure manière de décrire le modèle agricole québécois?

Nathalie Elgrably-Lévy is Senior Economist at the Monreal Economic Institute.
* This column was also published in Le Journal de Québec.

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