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Le débat sur les soins de santé: Mythes, réalité et politiques publiques

Allocution de Michel Kelly-Gagnon, directeur exécutif de l’Institut économique de Montréal présentée devant l’Institut du partenariat public-privé le jeudi 14 mars 2002 au Club St-James

I. Introduction

Bonjour Mesdames et Messieurs,

D’abord merci de m’avoir invité à prendre la parole ce matin. Pour ceux et celles qui ne connaissent pas l’Institut économique de Montréal, nous sommes un institut de recherche et d’éducation indépendant dont le but premier est de contribuer à l’éducation économique des Canadiens en général et des Québécois francophones en particulier.

Nous réalisons notre mission à travers nos publications, nos conférences et nos interventions régulières dans les médias (plus de 433 en 2001). La réforme du système de santé est une thématique qui nous intéresse particulièrement et ce depuis le tout début de nos opérations en juin 1999.

Nous avons témoigné devant la Commission Clair à l’automne 2000. Nous témoignerons également le 25 mars prochain devant la Commission Romanow. Qui plus est, l’automne dernier, nous étions devant le Comité du Sénat
(la Commission Kirby) qui étudie actuellement le rôle du gouvernement fédéral dans les soins de santé.

Enfin, nous organisons le 15 avril prochain un cocktail-conférence en compagnie d’un spécialiste des partenariats public-privé dans le système de santé suédois. Cet événement est ouvert à tous. Vous êtes les bienvenus et une invitation vous a d’ailleurs été remise avec un court texte de la Banque mondiale.

Le texte qui vous a été remis est un excellent document préparé par deux spécialistes de la Banque Mondiale qui étudient les diverses options de partenariat entre les secteurs publics et privés dans le domaine des soins de santé.

Le tableau présenté à la page 3 du document présente neuf (9) options par lesquelles le secteur privé peut être impliqué dans les services hospitaliers. Pour chacune de ces options, on présente les responsabilités respectives du secteur privé et du secteur public. Je vous invite à examiner attentivement ce tableau fort instructif qui résume les exemples de partenariats mis en oeuvre en Australie, au Brésil, en Suède et en Grande-Bretagne.

Bien qu’elles soit fort intéressantes, les balises fournies dans ce tableau concernent la gouvernance et la gestion des institutions et ne sont donc pas véritablement du ressort d’un institut comme celui que je dirige.

L’Institut économique de Montréal s’intéresse aux politiques gouvernementales et au débat public entourant ces politiques. Et c’est pourquoi ma présentation portera surtout sur le débat public dont devront tenir compte les décideurs dans l’établissement de partenariat public-privé. Ce débat crucial est déjà engagé et ceux et celles qui veulent promouvoir les partenariats public-privé doivent le suivre attentivement. Bien que l’opinion publique se montre de plus en plus ouverte à un rôle du secteur privé dans les soins de santé, il est clair que des objections majeures persistent, tant chez les citoyens ordinaires que chez plusieurs groupes qui exercent une influence décisive auprès sur nos gouvernants.

C’est là qu’intervient un institut comme le nôtre dont la mission est de remettre en question certaines idées reçues et de proposer des réponses rationnelles à des questions qui sont souvent teintée d’une grande émotivité.

II. Changer le débat

On entend souvent dire que la prestation et le financement de certains services médicaux et hospitaliers par des entreprises privées compromettraient nécessairement la qualité ou l’universalité des services fournis par le régime public d’assurance-maladie.

Cet argument des opposants au réseau parallèle d’assurance-maladie et de soins de santé est fondé sur plusieurs prémisses. Nous allons ici analyser deux d’entre elles:

1) Si l’on permet aux Canadiens de souscrire à une autre assurance-maladie et d’utiliser des services de santé relevant d’un système privé parallèle, ceux qui exerceront cette option cesseront de faire pression sur les politiciens pour maintenir les normes de qualité, d’accès et de financement du système public.

À cela il faut à mon avis répliquer que l’examen des faits donne une autre image.

En effet, les normes de qualité, d’accès et de financement ont connu un déclin constant au Canada sous le régime actuel de monopole public, et ce même en l’absence d’un réseau privé parallèle.

De plus, dans les pays européens où des systèmes publics et privés se côtoient depuis plus d’un siècle, et où les niveaux de financement public sont similaires à ceux du Canada, les services de santé ont conservé leur haute qualité et leur accessibilité, et ce sans que les listes d’attente ne s’allongent.

En fait, le financement public de ces pays européens est souvent supérieur à celui du Canada, et les patients ont le choix d’opter pour des services publics, privés; ou les deux. Bref, l’opposition théorique entre les services publics et privés, qui préoccupe tant les Canadiens, ne semble pas, dans les faits, s’être manifestée pour les Européens.

2) Si nous permettons au secteur privé d’accroître sa participation, il attirera alors les meilleurs médecins et les meilleures infirmières ne laissant au secteur public qu’un personnel réduit et de compétence inférieure.

Comme nous l’avons déjà fait remarqué, cet argument est invalidé par l’expérience de la plupart des pays européens, où les systèmes publics et privés fonctionnent en parallèle depuis plus d’un siècle. Loin de souffrir d’une pénurie de médecins, ils en ont en fait généralement un surplus et ce dans les deux secteurs.

Les listes d’attente sont pratiquement inexistantes, et l’Organisation mondiale de la santé accorde à ces pays une cote de performance supérieure à celle du Canada.

Voilà pour les mythes qui doivent être remis en cause avant qu’on puisse envisager réellement que nos gouvernants ouvrent davantage la porte au secteur privé dans le secteur de santé.

III. Les diverses options de partenariats public-privé et les politiques qui les encadrent

Je voudrais maintenant abordé brièvement les différents enjeux de politiques publiques qui, quelque soit le type de partenariat public-privé qui pourrait éventuellement être mis en oeuvre, seront débattus par les gouvernements.

Selon les auteurs de la Banque mondiale dont vous avez le texte en main, ces enjeux sont au nombre de cinq. Permettez-moi de passer rapidement en revue quatre d’entre eux.

D’abord, la question de l’accès universel aux soins. Le gouvernement voudra en effet sans doute s’assurer que tous les patients, quelque soit leur niveau de revenu, auront accès à un niveau adéquat de service hospitaliers et ceci se reflètera dans les contrats pour la gestion privée d’hôpitaux publics. Ces hôpitaux devront continuer de servir tous les patients.

Deuxièmement, la question du financement. Alors qu’on procédera à une transition vers la gestion privée des services hospitaliers, le gouvernement devra lier le financement à la performance des hôpitaux tout en continuant à récompenser la qualité des soins et la satisfaction des patients.

Troisièmement, et il s’agit là selon moi d’un enjeu primordial, il y a la question de la concurrence. La concurrence stimule l’amélioration de la qualité et de l’efficacité des services. Les gouvernements devront donc résister à la tentation d’offrir des privilèges exclusifs à certains hôpitaux gérés par le privé ou de les protéger des forces du marché. Le même principe devrait toutefois s’appliquer au hôpitaux entièrement publics, lesquels ne devraient pas recevoir de financement préférentiel ou d’autres avantages.

Finalement, il faut aborder la question de la réglementation. Les partenariats public-privé sont (et à mon avis doivent) être l’objet d’une réglementation appropriée.

Entre autre, il faudrait prévoir dans tous les cas un droit d’intervention du gouvernement, ou «step-in rights» en cas d’échec de la gestion privée.

IV. Conclusion

Je vous ai donc présenté très brièvement les termes du débats sur l’avenir des partenariats privé-public en matière de soins de santé.

On ne répétera jamais assez que si nous voulons mettre en œuvre davantage de partenariats public-privé dans ce domaine, il faut commencer par faire évoluer le débat. Les politiciens ne voudront pas mettre de l’avant des mesures qui sont perçues négativement par l’opinion publique, même si c’est à tort.

C’est ce que j’ai voulu indiqué dans la première partie de ma présentation et tous ceux qui ont à cœur de faire une plus grande place pour le secteur privé doivent réaliser que ce débat est crucial et doivent saisir toutes les opportunités qui s’offrent pour expliquer de façon rationnelle comment le recours au secteur privé, loin de mettre en péril le système de soins de santé, est plutôt la seule avenue pour le sauver.

Ce recours au secteur privé ne signifie pas le retrait du secteur public des soins de santé. Au contraire, plusieurs enjeux soulevés par les partenariat public-privé continueront d’être examinés par nos législateurs et gestionnaires publics, comme je l’ai montré dans la deuxième partie de ma présentation.

Je vous remercie de votre attention (et je suis prêt à répondre à vos questions).

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