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Souper (libre) échangiste… ou comment acheter ses cadeaux de Noël en paix

Samedi soir. Un souper bien arrosé entre amis. Stéphanie, blonde plantureuse et dévergondée, me lance une question piège. Je dois me mettre à nu…..

– «As-tu acheté tes cadeaux de Noël?»

– «Non. Je vais justement au Walmart et au Toys’R’Us demain.»

– «Comment fais-tu? La plupart des articles dans ces magasins sont fabriqués dans des pays étrangers, par des travailleurs payés 1 $ l’heure! Pendant que les gens d’ici perdent leur emploi.»

À ce moment, j’hésite. Acheter la paix en bifurquant vers un autre sujet, ou m’obstiner avec Stéphanie? D’autres amis sont assis à la table. Ils méritent d’aller magasiner leurs cadeaux de Noël l’esprit en paix. Que ce soit au Walmart, au Toys‘R’Us ou ailleurs. Le professeur en moi prend la relève.

– «Stéphanie, tu fixes ton attention (et celle des autres) sur un seul aspect du libre-échange, celui visible. Il y a autre chose – des avantages – que tu ne vois pas. Ce serait malhonnête de t’opposer au libre-échange en soulignant seulement ses désavantages. Laisse-moi te résumer pourquoi le libre-échange est une bonne chose, quand on considère l’ensemble de ses effets.»

Je me rends compte que le temps d’attention de Stéphanie et de mes invités – déjà grisés par l’alcool – est d’environ 30 secondes. Je devrai être bref.

– «Supposons un monde où Benoît achète des vélos à Jérôme, au prix de 100 $. Soudainement, le Québec s’ouvre au commerce international. Benoît peut maintenant acheter un vélo à un Indien, au prix de 20 $.

Quatre choses se produisent :

  • 1- Benoît est plus riche de 80$. Il pourra acheter autre chose avec cet argent, et stimuler l’emploi de Québécois dans d’autres entreprises.
  • 2- Jérôme est moins riche de 80 $ – il peut concurrencer le prix de vente indien, ou quitter le business des vélos. Pour le moment, il sort dans la rue et brandit des pancartes dénonçant le libre-échange.
  • 3- Mylène, une Québécoise qui n’a pas les moyens de s’offrir un vélo à 100 $, peut maintenant s’en procurer un pour 20 $.
  • 4- Be Sikh, un Indien, peut désormais gagner sa vie dans une usine de vélos, au lieu de ratisser des dépotoirs à la recherche de métaux recyclables.

Des quatre effets, seul le second est négatif. Mais il est plus que compensé par les trois autres. Voilà, simplifié, l’argument en faveur du libre-échange.»

Stéphanie n’est guère impressionnée: – «On sait bien vous, les économistes, ne regardez que les chiffres! Que fait-on du pauvre Jérôme?

– «On peut compenser Jérôme, dis-je. Par exemple, en prenant 50 $ de la nouvelle richesse de Benoît, et en le donnant à Jérôme. Quand la tarte grossit, on peut distribuer à chacun une plus grosse pointe. D’ailleurs, nous compensons déjà en partie les perdants du libre-échange. Avec l’assurance-chômage et les divers programmes de formation en emploi – payés par nos impôts –, qui permettent de rediriger les “perdants” du libre-échange vers les industries en expansion. On pourrait certes en faire plus. Ce sera toujours mieux que de fermer la frontière.»

– «Mais Be Sikh se fait exploiter dans une usine sans salaire minimum! Qui pollue l’environnement!»

– «En effet. Et c’est triste. Mais gardons en tête deux choses: d’abord, personne ne force Be Sikh à travailler dans l’usine de vélos. Il le fait volontairement. Simplement parce que les autres options – comme se prostituer, ou ratisser des montagnes de détritus pour trouver des bouts d’aluminium et de cuivre à vendre – sont pires à ses yeux. C’est d’ailleurs Paul Krugman, un économiste progressiste, qui disait: le problème des travailleurs du tiers monde n’est pas qu’ils se font exploiter par des multinationales. C’est qu’ils ne se font pas assez exploiter par des multinationales. Ce que veut dire ce petit barbu, gagnant du prix Nobel 2008: plus il y aura d’entreprises qui se feront concurrence pour embaucher des gens comme Be Sikh, plus le salaire de ces derniers grimpera.

L’autre chose: il y a 100 ans, les Québécois n’avaient pas de salaire minimum. Ni de normes environnementales. Nous étions pauvres, et ne pouvions nous offrir ce luxe. De nombreux pays asiatiques et africains sont aussi pauvres aujourd’hui que nous l’étions il y a 100 ans. Utiliser cet argument pour bloquer leurs produits, c’est leur refuser le même parcours de développement que nous avons suivi.»

Je me retourne pour entendre la réponse de Stéphanie. Elle se tient debout dans le salon, et rit à grands éclats avec le reste des invités – la table s’est vidée autour de moi! Tony, un ami italien en visite au pays, raconte ses meilleures blagues. Comme lui seul peut le faire. Nul doute que les invités apprécient beaucoup plus ses paroles que les miennes, surtout à 20 h un samedi soir. Je ne lui en veux pas. L’ensemble des invités y gagne. Et j’ai de quoi me compenser. Sur la table, Stéphanie m’a laissé une excellente bouteille de rouge. Je savoure ce grand cru importé d’Espagne, et pars rejoindre les invités au salon. J’ai peut-être un truc ou deux à apprendre de Tony…

Hat tip to Steven Landsburg, for the inspiration.

David Descôteaux is an Economist at the Montreal Economic Institute.

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