Sortir des sentiers battus
La Presse Canadienne nous apprenait récemment que le taux de décrochage scolaire chez les jeunes du secteur public est passé de 26% en 2000, à 29% en 2007. Puis, la semaine dernière, la Commission scolaire de Montréal révélait qu’à peine 40,7% des élèves entrés au secondaire en 2002 avaient obtenu leur diplôme cinq ans plus tard. Les statistiques sont éloquentes: le décrochage est un fléau!
Comme chaque fois que le décrochage défraye les manchettes, des voix s’élèvent pour réclamer des solutions au problème. Évidemment, vu la fascination des élus pour les bavardages stériles et les rapports aussi inutiles qu’onéreux, il faut s’attendre à ce qu’on nous annonce la tenue de tables de concertation, de forums, de commissions d’enquête, de consultations publiques, de groupes de travail, etc.
Déjà, la Centrale des syndicats du Québec demande au gouvernement Charest de tenir un sommet sur le décrochage, et de concevoir une politique interministérielle. Après plusieurs mois d’intense réflexion aux frais des contribuables, on nous dévoilera en grandes pompes une série de recommandations savantes comme l’élaboration d’un plan de réussite, la réduction de la taille des classes, l’embauche de professionnels, l’intégration d’enfants en difficultés, l’établissement de règles et de politiques et, bien entendu, l’absolue nécessité de débloquer des fonds. On peut également parier l’école privée sera écorchée au passage et qu’on la rendra responsable de biens des difficultés que rencontre l’école publique.
Le hic, c’est que plusieurs de ces mesures ont déjà été adoptées sans succès. Il est donc temps de sortir des sentiers battus, d’autant plus que si les jeunes décrochent, ce n’est certainement pas parce qu’ils sont insatisfaits du ratio professeur-élèves. En revanche, ne se pourrait-il pas qu’ils abandonnent l’école parce qu’ils sont attirés par les revenus qu’ils peuvent gagner en travaillant, et qu’ils sont incapables d’évaluer les bénéfices de l’éducation? L’école ne serait-elle pas en concurrence avec le marché du travail? Si c’est le cas, il faudrait faire en sorte que l’école devienne plus «payante» que la jobine au salaire minimum.
Ainsi, pourquoi ne pas imaginer un programme d’«allocations pour études» en vertu duquel un jeune obtiendrait un revenu à condition qu’il fréquente l’école? Certes, payer les jeunes pour qu’ils étudient peut coûter cher au Trésor public. Mais un tel programme peut être économique si on tient compte de la facture associée au décrochage. À cet effet, l’économiste Pierre Fortin a récemment évalué qu’un décrocheur impose un fardeau de 500 000$ à la société. Une étude du Conseil canadien sur l’apprentissage a également estimé que le décrochage coûte 37 milliards de dollars par année à Ottawa. Et puis, on pourrait certainement financer cette initiative en abolissant la pléthore de programmes inutiles qui grugent les finances publiques.
L’idée semble farfelue? Le Mexique l’a pourtant exploitée en introduisant en 1997 le programme Oportunidades qui consiste à payer les familles pour qu’elles envoient leurs enfants à l’école. Le principe de l’incitation financière a tellement bien fonctionné que plus de trente pays l’ont adopté depuis. Même la ville de New York et la Grande-Bretagne se sont inspirées de ce programme pour lutter contre le décrochage.
Au Québec, la meilleure idée pour lutter contre le décrochage revient certainement à Centraide KRTB-Côte-du-Sud pour son Programme de bourses d’études pour enfants défavorisés en vertu duquel un jeune qui souhaite poursuivre des études postsecondaires pourrait obtenir jusqu’à 16500$. Ce programme n’exploite pas l’incitation financière aussi bien que Oportunidades, mais le principe est là. Pourquoi ne pas l’appliquer maintenant à grande échelle?
Nathalie Elgrably-Lévy is Senior Economist at the Monreal Economic Institute.
* This column was also published in Le Journal de Québec.