Une histoire fumante
La contrebande de cigarettes déferle encore dans les manchettes. On nous dit qu’il faut sévir pour enrayer ce fléau qui coûterait de 250 à 300 millions annuellement au Trésor québécois. Mario Dumont prône même une intervention policière musclée sur la réserve de Kahnawake afin de faire cesser ce genre de commerce.
On peut évidemment blâmer le manque de coopération des gardiens de la paix, l’inertie de Québec ou l’inaction de la GRC. Mais ce n’est pas en raison d’un contrôle déficient que la contrebande de cigarettes est devenue un commerce lucratif: c’est à cause des taxes élevées qui frappent les cigarettes légales! Quand elles coûtent dix fois plus cher que les cigarettes «à plumes», il est certain que les fumeurs les boudent et qu’ils cherchent des produits de remplacement. Tant que nos élus ne reconnaîtront pas que c’est la gourmandise du fisc qui cause la contrebande, le phénomène perdurera.
Le Québec a connu deux épisodes de contrebande de cigarettes: le premier en 1951, le second en 1993. On a alors compris que la façon la plus efficace, la plus pacifique et la moins coûteuse de «mettre en faillite» les contrebandiers consistait à réduire les taxes. C’est également le seul moyen de récupérer les recettes fiscales qui, aujourd’hui, s’envolent en fumée. Ce n’est pas ce que le Trésor québécois aime entendre, mais c’est la réalité.
Malgré tout, l’idée de réduire les taxes sur les cigarettes soulève l’indignation. La cigarette est nocive pour la santé, et le fait de taxer lourdement sa consommation serait un moyen de décourager le tabagisme, surtout chez les jeunes. L’intention est noble, sauf qu’on ne juge jamais une politique à ses intentions, mais à ses résultats!
Effets pervers
Or, les taxes donnent un avantage aux cigarettes «à plumes» et incitent les fumeurs à se ravitailler sur les réserves. La hausse de la demande pour les produits de contrebande rend cette activité plus lucrative et un plus grand nombre de Mohawks sont attirés par le commerce de cigarettes de contrebande. Et comme ils sont plus nombreux à se faire concurrence, le prix de leurs cigarettes diminue, si bien qu’une cartouche n’a jamais été si bon marché: en effet, aujourd’hui, on peut se procurer 200 cigarettes pour 6 $, alors qu’il aurait fallu débourser 22 $ il y a un an.
Le paradoxe est donc flagrant. Les taxes énormes qui visent à enrayer le tabagisme occasionnent une baisse importante du prix des produits de contrebande, lesquels sont réputés être beaucoup plus toxiques que ceux vendus légalement. Par conséquent, si les cigarettes étaient moins taxées, les cartouches à 6 $ n’existeraient pas, les jeunes auraient plus de difficultés à financer leur consommation, et on leur éviterait de tomber dans le piège de la nicotine.
On entend souvent qu’il serait immoral de réduire les taxes. Mais est-il moral d’inciter les fumeurs à se rabattre sur des produits toxiques parce qu’ils sont bon marché? De toute manière, on peut s’attendre à ce que les taxes soient révisées à la baisse. Non pas par égard pour la santé des fumeurs, mais par souci de la santé des finances publiques: les accros de la nicotine constituent une source de revenus bien trop importante pour que l’État l’abandonne aux Mohawks.
Mea-culpa
Dans mon texte de la semaine dernière, j’ai reproché à l’étude de Statistique Canada de ne pas fournir de chiffres sur le revenu des familles. Or, vérification faite, les statistiques sont effectivement disponibles. Désolée pour l’erreur!
* This column was also published in Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably is an Associate Researcher at the Montreal Economic Institute and author of the book La face cachée des politiques publiques.