Un tournant décisif
Le processus de libéralisation du transport aérien, qui se poursuit depuis plusieurs décennies, est entré dans une autre phase historique le 1er avril avec l’entrée en vigueur d’un accord «ciel ouvert» entre les États-Unis et l’Union européenne. Les négociations pour mener à cette entente duraient depuis de nombreuses années, mais avaient toujours achoppé sur la question sensible de la participation étrangère dans les compagnies aériennes américaines, qui est pour le moment limitée à 25%. L’année dernière, les deux parties ont décidé d’aller de l’avant avec un accord limité, mais qui constitue tout de même une percée majeure, les points non résolus ayant été reportés à une nouvelle ronde de négociations qui débutera le 15 mai prochain.
Il s’agit d’un tournant décisif dans le développement d’une industrie aérienne intégrée à l’échelle mondiale. On peut déjà envisager le jour où elle transcendera la réglementation et les barrières nationales qui ont limité sont potentiel de croissance depuis des décennies et où elle deviendra une industrie comme toutes les autres, au lieu d’être traitée comme un symbole de souveraineté nationale. Couplés avec le développement des compagnies aériennes à bas prix, les nouveaux arrangements flexibles qui découlent de l’entente, s’ils sont repris ailleurs dans le monde, vont permettre une formidable expansion des affaires, du commerce et du tourisme.
L’accord innove de plusieurs façons. Tout d’abord, les différents traités qui ont été signés au fil des ans entre les États-Unis et l’Union européenne sont remplacés par un seul qui couvre les 27 membres de l’Union. N’importe quel transporteur européen pourra dorénavant lier n’importe quelle ville du vieux continent avec n’importe quelle ville américaine, sans restriction aucune. Jusqu’à maintenant, les vols ne pouvaient partir que d’un aéroport à l’intérieur du pays d’origine du transporteur et se rendre à certains aéroports américains selon des ententes pré-établies.
Seules quatre compagnies britanniques et américaines pouvaient jusqu’à maintenant utiliser l’aéroport le plus en demande en Europe, Heathrow, pour relier les deux continents. Cette restriction a elle aussi été éliminée et Air France/KLM est devenu le premier transporteur européen à exploiter cette nouvelle possibilité en inaugurant un nouveau vol de Londres à Los Angeles le 1er avril.
Les conséquences les plus évidentes de cette nouvelle flexibilité seront l’ouverture de plusieurs routes transatlantiques entre différents points qui n’étaient jusqu’ici pas desservis, une concurrence accrue là où un service existe déjà, et éventuellement des prix à la baisse – ou à tout le moins une modération des hausses provoquées par un prix plus élevé du pétrole. Une étude faite par les autorités européennes estimait l’an dernier que sur une période de cinq ans, cela entraînerait une croissance du trafic annuel entre les États-Unis et l’Europe d’environ 50 millions à 75 millions de passagers. Durant la même période, les voyageurs économiseraient 19 milliards de dollars US.
Un autre aspect du traité qui aura des ramifications à long terme importantes est la reconnaissance des droits acquis de transporteurs de différents pays (droit d’atterrissage, accès à des routes, etc.) lorsque survient une fusion ou une acquisition.
Par exemple, lorsqu’Air France a fusionné avec KLM, ou quand Lufthansa a acheté Swiss Ainternational Airlines, la nouvelle compagnie n’a pas pu jouir automatiquement du même accès au marché américain que celui que ses divisions avaient auparavant. Les droits sont traditionnellement négociés entre des pays et ont toujours été assignés à des transporteurs contrôlés par des intérêts de ce pays. Les fusions et acquisitions qui ont eu lieu dans le nouveau marché unifié européen – ou entre un transporteur de l’UE comme Lufthansa et un de l’extérieur comme Swiss – n’avaient tout simplement pas leur place dans la vieille façon de faire les choses. À partir de maintenant, ces droits internationaux n’auront plus besoin d’être renégociés et seront transférés sans modification à la nouvelle entité corporative.
Ce processus de libéralisation sera poussé encore plus loin si la nouvelle ronde de négociations se termine sur une note positive.
Pour des raisons évidentes, le Canada, avec son petit marché, ne peut se permettre de rester à l’écart de ces développements. Les voyageurs, transporteurs et aéroports canadiens ne peuvent bénéficier actuellement d’une flexibilité du transport aussi grande entre les deux continents. Ottawa a enclenché en novembre dernier des négociations avec l’Union européenne en vue de la signature d’un traité similaire et le commissaire européen aux Transports, Jacques Barrot, a réitéré la semaine dernière son souhait d’arriver à une entente d’ici l’automne.
Comme cela a été le cas avec notre voisin du sud, un traité ciel ouvert avec l’Europe contribuerait à intensifier nos relations avec le continent duquel nous sommes historiquement le plus près, de même qu’à réduire les coûts des relations d’affaires et des échanges commerciaux. Un meilleur accès au vaste marché européen ferait plus que compenser pour la compétition plus féroce à laquelle les transporteurs canadiens devraient faire face ici, ce que beaucoup de voyageurs canadiens apprécieront de toute façon.
Pierre J. Jeanniot is a former Air Canada president and CEO & director general and CEO of the International Air Transport Association (IATA). He is also Associate Researcher at the MEI.