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Les allumeurs de réverbères

Au XIXe siècle, les villes employaient des gens pour allumer les réverbères des voies publiques à la tombée de la nuit, et les éteindre à l’aube. On les appelait les allumeurs de réverbères. Ils étaient alors indispensables, car les lampadaires qui fonctionnaient au pétrole ou au gaz ne pouvaient s’allumer sans la main de l’Homme.

Mais la tranquillité des allumeurs de réverbères fut ébranlée en 1879 lorsque l’inventeur américain Thomas Edison mit au point l’ampoule électrique. Rapidement, des lampadaires modernes remplacèrent les antiques réverbères et les allumeurs durent accepter que leur époque fût révolue.

Aurait-il fallu résister à l’avènement de l’ampoule pour préserver les emplois des allumeurs de réverbères? Évidemment que non! Si les gouvernements d’alors s’étaient attachés à préserver le gagne-pain des allumeurs, les réverbères feraient encore partie de notre paysage. De toute manière, de nouveaux emplois furent créés, car il fallait changer les ampoules, entretenir les armoires électriques…

Les premiers ministres du Québec et de l’Ontario, Jean Charest et Dalton McGuinty, ont pressé le gouvernement Harper d’aider davantage les manufacturiers canadiens. Stéphane Dion déclarait récemment que le secteur manufacturier mérite d’être soutenu et qu’il relève de la responsabilité du gouvernement d’empêcher les pertes d’emplois. On a également vertement reproché à Jim Flaherty, ministre des Finances à Ottawa, de ne pas se battre pour sauver cette industrie.

Pourquoi le ferait-il? Les statistiques sur le marché du travail montrent que les pertes d’emplois dans le secteur manufacturier sont largement compensées par les emplois créés dans d’autres industries, en particulier dans le secteur des services. Bien sûr, il est nécessaire d’aider les travailleurs affectés par ces suppressions à effectuer rapidement la transition vers les secteurs en expansion. Mais pourquoi devrions-nous injecter des milliards pour sauver l’industrie manufacturière en particulier? Et pourquoi les travailleurs et les entreprises de cette industrie bénéficieraient-ils d’un traitement de faveur alors que nous restons impassibles quand des emplois sont perdus dans d’autres secteurs de l’économie? Les emplois manufacturiers seraient-ils supérieurs à ceux des autres industries?

C’est une thèse populaire, mais elle est carrément fausse. Certes, le secteur des services offre des McJobs et des emplois rémunérés au salaire minimum dans le commerce de détail et dans l’hôtellerie. Or, non seulement ne représentent-ils que le quart de tous les emplois du secteur tertiaire, mais ils sont généralement occupés par des jeunes qui en sont à leur première expérience de travail et qui voient leur sort s’améliorer assez rapidement.

En revanche, les trois quarts des travailleurs du secteur tertiaire œuvrent dans divers domaines comme l’immobilier, les loisirs, la santé, l’éducation, la finance, la gestion et l’administration, les services informatiques, les services aux entreprises… Qui plus est, la moitié des travailleurs du secteur tertiaire obtiennent une rémunération supérieure à la moyenne québécoise. Alors pourquoi nous accrocherions-nous aux emplois manufacturiers? Préférons-nous que nos enfants travaillent plus tard dans des usines plutôt que dans des bureaux?

Les travailleurs du secteur manufacturier sont les allumeurs de réverbères contemporains. Il faut admettre que l’époque glorieuse de cette industrie soit révolue. Plutôt que de gaspiller nos énergies à tenter d’éviter l’inévitable, il faut plutôt trouver les moyens de s’adapter à la nouvelle donne internationale. Le monde change, les emplois aussi!

* This column was also published in Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably is an Economist at the Montreal Economic Institute and author of the book La face cachée des politiques publiques.

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