Le prix des autos et le Bureau de la concurrence
Pourquoi un Blackberry coûte-t-il 100 $ de plus au Canada qu’aux États-Unis et pourquoi une Lexus ou une Mercedes coûtent-elles 20 000 $ de plus, alors que le dollar canadien est maintenant à parité avec le dollar américain? Pourquoi les biens manufacturés au Canada coûtent-ils souvent moins cher ailleurs qu’ici?
Dans les États membres d’un accord de libre-échange, les biens devraient théoriquement se vendre à peu près au même prix, en ajoutant le prix du transport. Cependant, on observe à l’heure actuelle des différences de prix des voitures allant jusqu’à 20% entre les États-Unis et le Canada. Plusieurs Canadiens affirment avoir l’impression d’être floués, et ils ont probablement raison. Quand les marchés sont segmentés, des caractéristiques différentes dans la demande permettent à un fournisseur d’augmenter son profit en vendant à des prix différents dans chaque marché. Les acheteurs n’ont pas tous la possibilité d’aller aux États-Unis pour obtenir un meilleur prix et les vendeurs tirent parti de cette situation.
Les entreprises monopolistiques peuvent discriminer par les prix: il n’existe pas de biens substituts et les conditions de garantie peuvent restreindre la revente. Dans les autres cas, la concurrence entre les fournisseurs devrait éliminer de telles différences de prix. Une Toyota n’est pas si différente d’une Mazda, et une Mercedes d’une Audi. Pourtant, les concessionnaires automobiles canadiens ne semblent pas enclins à réduire leurs prix aux niveaux américains, ce qui pourrait augmenter leurs ventes.
Plusieurs consommateurs canadiens évaluent la possibilité d’acheter leur véhicule aux États-Unis, mais on les en empêche souvent – des concessionnaires refusent de vendre à des acheteurs sans preuve d’adresse aux États-Unis. Certains fabricants demandent à leurs distributeurs américains de ne pas vendre à des Canadiens, un comportement anti-concurrentiel. Pourquoi?
Bien que les réductions de prix au détail puissent augmenter les ventes de nouveaux véhicules au Canada, ce n’est pas dans l’intérêt actuel des fabricants de réduire les prix puisque ces derniers possèdent d’importantes parts des entreprises de location. Chaque année, au Canada, plus de la moitié des nouveaux véhicules transitant par les concessionnaires est louée plutôt qu’achetée. Ces contrats de location deviennent propriété des entreprises de location. Si les voitures perdent la moitié de leur valeur en trois ans, par exemple, alors la valeur résiduelle d’une voiture de 40 000 $ sera de 20 000 $ au terme d’un contrat de trois ans. Ce montant de 20 000$ est un actif pour l’entreprise de location. Si le prix d’origine de 40 000 $ était réduit au niveau américain de 33 300 $, alors la valeur résiduelle passerait à 16 650 $. À un taux de change de 80¢, la valeur précédente de 20 000 $ a la même valeur en $US que le montant de 16 650 $ à un taux de change à parité. Ainsi, exprimé en $US, le bilan des compagnies de location n’a pas changé suite à la baisse de prix. À défaut d’un ajustement des prix canadiens aux niveaux des prix américains, ces compagnies profiteraient d’un gain exceptionnel de plusieurs milliards de dollars.
De 2004 à 2006, des données de Statistique Canada indiquent qu’environ 1,5 million de véhicules légers par an ont été vendus au Canada: 800 000 voitures, 200 000 véhicules utilitaires sport et 500 000 camions légers. Si la moitié de ces véhicules a été louée, il y a probablement 2,25 millions de contrats de location encore en vigueur. En supposant que le prix excédentaire moyen au détail n’est que de 4 000 $, les entreprises de location profiteraient d’un gain de bilan de près de cinq milliards de dollars. Ce ne serait certes pas une bonne nouvelle de perdre un tel gain. En conséquence, les entreprises de location ont intérêt à ce que les prix restent élevés au Canada.
Comment évoluera la situation? Il est probable que le maintien des prix élevés devienne de plus en plus difficile. Les fournisseurs qui occupent une petite part de marché en croissance au Canada, comme Subaru, ne semblent pas empêcher les Canadiens d’acheter aux États-Unis. De plus, lorsqu’un nombre important de Canadiens achèteront aux États-Unis, des effets de réputation et de réseau se feront sentir, et le marché des automobiles au détail pourrait chuter de façon désastreuse.
Nous prévoyons que les pressions concurrentielles feront baisser les prix des automobiles au Canada et ce dans un avenir pas trop éloigné. Sinon, nous croyons que le Bureau de la concurrence devrait intervenir dans l’intérêt des consommateurs canadiens. Après tout, c’est la raison pour laquelle il a été créé.
Marcel Boyer is vice president and chief economist of the MEI, Ian Irvine is professor at Concordia.