Le mont des Égoïstes
La coalition SOS Parc Orford a encore fait parler d’elle à la suite de l’assemblée qu’elle a tenue samedi dernier. Elle continue à s’opposer à la privatisation d’une partie de la montagne ainsi qu’à l’érection d’un concept récréotouristique similaire à celui du Mont Tremblant.
Cette coalition défend sa position en affirmant qu’elle milite pour la conservation du patrimoine. La montagne doit rester du domaine public, car elle appartient à tous les Québécois, nous dit-on. Si telle est sa motivation, où donc était cette coalition lorsque le concept du Mont Tremblant a été lancé? Pourquoi ne l’a-t-on pas entendue lorsque Daniel Gauthier a présenté son projet récréotouristique dans la région de Charlevoix? Faut-il en conclure que le Mont Orford mérite plus que d’autres monts d’être préservé?
En fait, ce n’est peut-être pas tant le patrimoine national que la coalition tente de préserver que la tranquillité des résidents de la région d’Orford. Actuellement, seuls quelques privilégiés peuvent contempler la montagne, assis sur leur perron. Permettre le développement d’un centre de villégiature offrirait à tous les Québécois la possibilité d’admirer ce que Dame Nature a de plus beau. Construire des unités de logements, c’est partager ce trésor national. Les quelques milliers d’habitants qui s’opposent à la privatisation veulent en réalité s’approprier la montagne en nous faisant croire que c’est pour le bien des Québécois! Ce n’est pas par altruisme qu’ils souhaitent empêcher le développement, c’est par pur égoïsme!
Cela dit, on ne peut reprocher aux résidents d’Orford de vouloir préserver leur style de vie campagnard. Toutefois, militer pour qu’Orford demeure dans le domaine public revient à demander aux contribuables de payer le gros prix pour qu’une poignée de privilégiés puissent continuer à jouir de la montagne de manière quasi exclusive. Comme l’État entend procéder à des appels d’offres, peut-être faudrait-il que tous ceux qui veulent «sauver» Orford se cotisent et l’achètent. La coalition SOS Parc Orford affirme avoir constitué une pétition de plus de 80 000 signatures. Si chaque signataire donnait en moyenne 300$, la coalition disposerait de près de 25 millions de dollars pour se porter acquéreur de la montagne et la conserver dans l’état actuel.
Deux options
En tant que contribuables, nous avons donc deux options. La première est de continuer à financer une montagne dont seuls jouissent en toute tranquillité une poignée de résidents. La seconde consiste à privatiser une partie des terres et à permettre la construction d’un concept récréotouristique ouvert à tous les Québécois. Dans la mesure où des investisseurs privés sont disposés à assumer seuls les risques liés à ce projet et s’engagent à ne pas solliciter de subventions gouvernementales, pourquoi nous y opposer? Non seulement les impôts que nous payons pourraient être alloués à des fins plus urgentes, mais un plus grand nombre de Québécois pourraient apprécier la beauté du Mont Orford.
Les opposants à la privatisation ajoutent qu’ils ne veulent pas d’un autre «Tremblant» en insistant sur le fait que, de toute manière, seuls les mieux nantis possèdent les moyens d’y séjourner. Or, cet argument est boiteux, car c’est précisément parce que «Tremblant» est unique en son genre que le coût d’un séjour est prohibitif. Si le Mont Orford venait à offrir un concept similaire, le jeu de la concurrence aurait vite fait de permettre une réduction des tarifs, ce qui rendrait ce genre de destination accessible à davantage de Québécois.
La coalition SOS Parc Orford annonçait samedi qu’elle envisage un recours légal contre l’État. Si elle remportait sa cause, le Mont Orford mériterait alors d’être rebaptisé le Mont des Égoïstes!
* This column was also published in Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably is an Economist at the Montreal Economic Institute and author of the book La face cachée des politiques publiques.