Les pétrolières complotent encore
Vous souvenez-vous de l’automne 2005? On accusait les pétrolières de comploter pour maintenir le prix de l’essence artificiellement élevé. Puis le même discours nous fut servi en avril et en juillet dernier lorsque le prix du baril atteignit de nouveaux sommets. On pouvait alors lire et entendre partout que les pétrolières extorquaient les consommateurs, qu’il fallait une intervention de l’État pour fixer un «juste prix», ou encore que la nationalisation du pétrole était l’unique planche de salut. Notre gouvernement ouvrit alors des enquêtes pour déterminer si on était en présence de collusion.
Si les pétrolières sont coupables de collusion, elles devraient effectivement être punies. Or, aucune enquête n’a démontré l’existence d’une telle conspiration.
Malgré tout, je les soupçonne de comploter de nouveau et il serait peut-être approprié d’ouvrir une autre enquête. Le prix de l’essence est, certes, fortement à la baisse, mais si les hausses antérieures étaient le résultat d’un complot, la baisse récente ne le serait-elle pas également? Où se trouve donc le représentant de «L’essence à juste prix» quand on a besoin de lui?!
Des remords
Ou peut-être les pétrolières ont-elles simplement mis fin à leur complot des derniers mois? Mais pourquoi auraient-elles renoncé aux profits que l’extorsion organisée leur procurait? Auraient-elles été brusquement envahies de remords? De bons sentiments?
Je fais du sarcasme, évidemment! Il va de soi que la baisse des cours mondiaux est le résultat du jeu de l’offre et de la demande et non d’une manigance quelconque des pétrolières. Tout d’abord, la fin de l’été implique une réduction des déplacements et, par conséquent, de la consommation de pétrole. De plus, la demande de pétrole enregistrée au cours des huit premiers mois de l’année était inférieure à celle anticipée par les pétrolières, ce qui a également exercé des pressions à la baisse sur les prix.
Mais ce n’est pas tout. On nous annonce depuis 30 ans que les réserves de pétrole sont sur le point de se tarir et que cette tendance s’accélère en raison de la croissance économique en Chine et en Inde. Or, de nouvelles réserves ne cessent d’apparaître, qu’il s’agisse des sables bitumineux ou des nouveaux gisements découverts sur les côtes africaines et dans les Antilles.
Pressions à la baisse
Il y a une dizaine de jours, on annonçait la découverte de nouveaux gisements dans le Golfe du Mexique, gisements qui pourraient doubler les réserves de pétrole des États-Unis. On apprenait également récemment que la production pétrolière pourrait bientôt reprendre en Alaska et ainsi augmenter l’offre de brut de 400 000 barils par jour. Tous ces phénomènes contribuent à une hausse de l’offre de pétrole et exercent donc des pressions à la baisse sur les prix.
Bien entendu, l’accalmie au Proche-Orient a également rassuré les spéculateurs. Mais le fait demeure que la chute du prix du brut n’est pas le résultat d’une action orchestrée par les pétrolières. S’il est facile de comprendre que la baisse récente est due aux lois du marché, pourquoi ignorer ces mêmes lois quand le prix est à la hausse et crier systématiquement au complot? D’ailleurs, les consommateurs y gagneraient-il vraiment si les gouvernements intervenaient encore plus dans l’industrie pétrolière, en plus des nombreuses taxes qu’ils ajoutent au prix de l’essence?
Le pétrole est une ressource dont le prix fluctue et nous assisterons certainement à une nouvelle flambée des cours. Quand? Je l’ignore. Chose certaine, les esprits s’enflammeront encore et les automobilistes seront invités à «comploter» pour boycotter des pétrolières, à ne mettre que quelques sous d’essence dans leurs réservoirs, ou à adopter un autre comportement similaire et tout aussi inefficace.
* This column was also published in Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably is an Economist at the Montreal Economic Institute and author of the book La face cachée des politiques publiques.