Équilibre rompu – Ottawa doit se retirer complètement des services sociaux et laisser aux provinces les champs de taxation nécessaires pour les financer
La démocratie est une question d’équilibre et à plusieurs égards la démocratie canadienne se trouve en grave rupture d’équilibre. L’écart criant entre les responsabilités et les ressources des gouvernements fédéral et provinciaux constitue le plus pressant de ces déséquilibres.
La Constitution canadienne attribue clairement aux provinces le secteur des services sociaux. Pendant des décennies, le gouvernement fédéral s’est néanmoins ingéré dans ce secteur par l’usage arbitraire du pouvoir fédéral de dépenser. Ces intrusions ont créé des tensions inutiles dans les relations fédérales-provinciales et vont à l’encontre du principe voulant que les services sociaux soient dispensés plus efficacement par le gouvernement le plus près des citoyens à servir. En divisant la responsabilité à l’égard des politiques sociales, cette pratique diminue aussi la capacité des Canadiens à tenir un quelconque ordre de gouvernement responsable de l’échec – ou du succès – de ces politiques.
La première étape du rééquilibrage du fédéralisme canadien devrait donc être le transfert aux provinces, par le gouvernement fédéral, de pouvoirs, de responsabilités et de la capacité à générer des revenus dans les secteurs que la Constitution leur attribue clairement et à juste titre.
Nous encourageons ce rééquilibrage principalement pour son effet immédiat sur l’amélioration de la performance des gouvernements. Mais il existe d’autres bonnes raisons de respecter la répartition constitutionnelle des compétences. D’abord, il s’agit de la Constitution – la loi fondamentale sur laquelle reposent tous les textes législatifs – et le gouvernement fédéral ne devrait pas être libre de la modifier de facto par sa capacité de dépenser l’argent des contribuables.
Cependant, l’argument le plus puissant en faveur d’un rééquilibrage de la fédération canadienne est que… cela fonctionne! L’expérience canadienne en matière d’éducation, d’aide sociale ou de soins de santé montre qu’il y a un rapport négatif indéniable entre le succès d’une politique et l’intrusion fédérale dans les champs de compétence provinciale. Là où les provinces sont maîtresses de leurs champs de compétence, comme dans le cas de l’éducation primaire et secondaire, le Canada surpasse la plupart des autres pays. Là où le gouvernement fédéral s’ingère dans les secteurs que la Constitution a sagement confiés aux provinces, comme c’est le cas de la santé, les résultats du Canada sont parmi les pires du monde industrialisé. Et lorsqu’Ottawa fait marche arrière et se retire des compétences provinciales dans lesquelles il s’était ingéré, comme par exemple dans le domaine de l’aide sociale, la performance s’améliore.
Rôles respectifs
Dans cet esprit, voici quelques unes des mesures que nous recommandons afin de rééquilibrer les rôles respectifs du gouvernement fédéral et des provinces dans les services sociaux:
- que le gouvernement fédéral se retire complètement de l’aide sociale, des services de garde et des soins de santé;
- que ce retrait soit combiné à une réduction des revenus du gouvernement fédéral équivalent à la valeur actuelle des transferts fédéraux aux provinces servant à financer les services, et à une cession de l’espace fiscal correspondant aux provinces;
- que les provinces assument pleinement leur responsabilité de dispenser les services sociaux essentiels (éducation, soins de santé, services de garde et aide sociale) et d’élaborer des normes nationales souhaitables dans ces secteurs, au moyen d’ententes interprovinciales facilitées par le Conseil de la fédération;
- que la formule de péréquation actuelle soit modifiée afin de garantir des revenus supplémentaires aux provinces à revenu inférieur pour lesquelles un «point d’impôt» est moins rentable que pour les provinces à revenu supérieur, assurant ainsi qu’aucune province ne se trouve désavantagée après le transfert des points d’impôt.
Le transfert du pouvoir d’imposition aux provinces est aussi important que de leur accorder la liberté voulue pour assumer leurs responsabilités en matière de politiques sociales. Quel espace fiscal Ottawa devrait-il libérer? Les principaux transferts fédéraux aux provinces en matière de politiques sociales se font dans deux secteurs, le Transfert canadien en matière de santé (pour les soins de santé) et le Transfert canadien en matière de programmes sociaux (pour de nombreux autres programmes, dont l’aide sociale et l’enseignement postsecondaire). Ces transferts s’élèvent à plus de 30 milliards de dollars. Si notre vision était mise en oeuvre, Ottawa réduirait l’impôt fédéral d’une somme équivalente afin de permettre aux provinces de lever les fonds requis pour financer les programmes sociaux qui relèvent de leur compétence.
Soulagées des tensions stériles générées par les intrusions fédérales dans leurs champs de compétence et soutenues par les points d’impôt concédés par Ottawa, les provinces seraient dorénavant libres d’innover et de répondre directement aux priorités de leurs citoyens.
Une fois que la division des responsabilités constitutionnelles sera rétablie, les citoyens pourront plus facilement faire le lien entre ce qu’ils payent en taxes et impôt et ce qu’ils récoltent en termes de résultats. Ils sauront qui féliciter lorsque les politiques fonctionnent et qui blâmer lorsqu’elles échouent et les propos accusateurs inutiles entre les deux niveaux de gouvernement prendront fin.
Les auteurs sont respectivement ancien premier ministre de l’Ontario et ancien chef du Parti réformiste. Ils viennent de cosigner un document de réflexion intitulé Une gouvernance renouvelée et rééquilibrée pour un Canada fort et prospère, publié par l’Institut Fraser et l’Institut économique de Montréal.