Où va notre argent? Au Canada, il ne semble pas y avoir de corrélation entre l’évolution des dépenses et recettes fédérales et le parti au pouvoir
Comment les dépenses et les recettes fédérales ont-elles évolué au cours des dernières décennies? Il est important de faire le point sur cette question, ne serait-ce que pour évaluer les orientations qu’adoptera le gouvernement issu de la présente campagne électorale. L’une des conclusions qui ressort est qu’il ne semble pas y avoir de corrélation entre l’évolution des dépenses et recettes fédérales et le parti au pouvoir.
En 2004, selon les dernières données disponibles, les dépenses de toutes les administrations publiques au Canada correspondent à 39% du PIB, une forte baisse par rapport au sommet de 52% atteint en 1992. Les dépenses de l’administration fédérale (y compris les transferts aux provinces et le Régime de pensions du Canada) se situent à 16% du PIB, également en retrait par rapport au sommet de 24% du début des années 90. Depuis 1998, le rapport des dépenses publiques totales au PIB est passé bien au-dessous de la moyenne du G-7, en bonne partie à cause de la réduction des dépenses fédérales (données de l’OCDE; moyenne du G-7 non pondérée).
Ces comparaisons sont facilement trompeuses parce qu’elles confondent en une seule mesure les dépenses publiques et la conjoncture. En effet, le rapport des dépenses publiques au PIB change en fonction de l’une ou l’autre des deux variables: toutes choses étant égales par ailleurs, il diminue en période de forte croissance et augmente durant les récessions. Il est souvent plus intéressant de considérer les dépenses (et les recettes) per capita en dollars constants.
On constate que les dépenses fédérales réelles ont presque triplé de 1961 à 1985, pour atteindre près de 6 000 dollars par résident canadien. Elles ont ensuite plus ou moins plafonné jusqu’au milieu des années 90, puis ont diminué à quelque 5 500 dollars, niveau qu’elles ont maintenu jusqu’à 2004. Quant aux recettes fédérales, elles ont à peu près plafonné de 1974 au début des années 80 et n’ont augmenté que faiblement jusqu’au début de la décennie 1990, d’où le déséquilibre budgétaire et l’accumulation de déficits durant cette période.
À partir du milieu des années 90, l’écart de plus de 1000 dollars per capita entre les dépenses et les recettes fédérales a été comblé autant par une augmentation des recettes (+13,8% entre 1993 et 1997) que par une diminution des dépenses (-13,7% durant la même période). (…)
Comparaison avec Washington
Pour évaluer le succès du gouvernement fédéral dans le contrôle de ses dépenses et des impôts (représentés par les recettes fiscales), il est intéressant de dresser une comparaison avec le gouvernement fédéral des États-Unis, pays fédéral comme le Canada.
Depuis le début des années 80, le gouvernement fédéral canadien a mieux réussi à contrôler ses dépenses que son homologue américain. Même sous Ronald Reagan (qui a exercé son influence sur les budgets fédéraux de 1982 à 1988), les dépenses ont continué à croître, alors que le gouvernement Mulroney plafonnait les siennes durant la seconde moitié des années 80. Entre le début des années 90 et aujourd’hui, le gouvernement fédéral canadien a maintenu ses dépenses par habitant constantes, alors que celles du gouvernement fédéral américain ont augmenté.
Du côté des recettes, une période de stabilité court de la fin des années 60 jusqu’au début des années 80. La grande différence avec la situation canadienne est que c’est seulement par l’augmentation des recettes – une très forte augmentation – que le gouvernement fédéral américain a réussi à éliminer son déficit à la fin des années 90. Les réductions d’impôts et les augmentations de dépenses sous le gouvernement Bush ont ramené les déficits depuis le début des années 2000. Encore là, le gouvernement fédéral canadien a été plus efficace que son homologue américain pour plafonner la croissance de l’État (mesurée par les recettes et les dépenses).
Progrès rapide
Les recettes et dépenses des administrations publiques provinciales ont progressé rapidement depuis le début des années soixante. Sur toute la période, la part relative de l’administration fédérale a diminué: les recettes fédérales sont passées de 57% des recettes publiques totales en 1961 à 46% maintenant; durant la même période, les recettes provinciales de source propre (sans les transferts fédéraux) ont grimpé de 25% à 44% du total.
Tout compte fait, on peut conclure que les recettes et les dépenses réelles ont été contrôlées relativement efficacement – surtout depuis 1985 pour les dépenses – par le gouvernement fédéral canadien, si on le compare aux gouvernements provinciaux et au gouvernement fédéral américain.
Il reste que les dépenses et les recettes fédérales canadiennes sont très élevées. Les recettes (essentiellement des impôts de toutes sortes) équivalent, en 2004, à 5 657 dollars par habitant (toujours en dollars constants de 1997), soit plus de deux fois et demie le niveau de 1961 et presque 50% de plus qu’il y a trente ans. De ce point de vue, le gouvernement fédéral, tout comme les autres gouvernements, n’a pas réussi à maîtriser son expansion.
Pierre Lemieux is associate professor in the Department of Management Sciences, University of Québec in Outaouais and an associate researcher at Montreal Economic Institute. He is the author of the Point de l’IEDM entitled Les recettes et les dépenses du gouvernement fédéral.